LIE-TSEU / Le Vrai Classique du vide parfait / Philosophes taoïstes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf
Gallimard 1961
Prendre le nom pour la chose :
« Dans la région de l’Est, vivait un homme du nom de Yuan King-mou. Comme il se rendait en voyage, il
faillit mourir de faim en cours de route. Un brigand de Hou-fou, du nom de K’ieou, le vit et lui apporta à
boire et à manger pour le fortifier.
Yuan King-mou se fortifia trois fois, et, revenant à lui, il dit : "Qui êtes-vous?" L’autre répondit : "Je suis
de Hou-fou et je m’appelle K’ieou." Yuan King-mou dit : "N’es-tu pas un brigand ? Quoi ! Un dépravé
m’aurait nourri?Mon sens de la justice m’interdit de manger de ta nourriture !" Alors, penché en avant, les
deux mains au sol, il s’efforçait de tout vomir, mais il n’en sortait qu’un gargouillement. Sur quoi, on le vit
s’affaisser et il mourut.
Il est vrai que l’homme de Hou-fou était un brigand, mais nourrir un voyageur n’est pas un acte de brigandage.
Que le voyageur se soit refusé à assimiler ce que son bienfaiteur lui offrait en le considérant comme
le fruit du brigandage, c’est là un malentendu entre le nom et la chose. »
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Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971
« En 1944, au moment de la libération de Paris, de jeunes résistants se refusaient à prendre une voiture
disponible dont ils avaient besoin, justifiant leur attitude par le fait qu’elle avait servi à la Gestapo. De ce
fait, elle était à leurs yeux, souillée, maudite. Ils réprouvaient l’instrument à cause de l’usage qui en avait
été fait. »
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Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX / OEuvres / Art Poétique / Société des Belles Lettres 1939
«
Selon que nostre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
»
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Paul VALÉRY / Tel Quel / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« A Boileau.
Il est très malaisé d’énoncer clairement ce que l’on conçoit plus nettement que ceux qui ont créé les formes
et les mots du langage,— parmi lesquels ceux qui nous ont appris à parler. »
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Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / OEuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Les langues sont la clef ou l’entrée des sciences, et rien davantage ; le mépris des unes tombe sur les
autres : il ne s’agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles, mortes ou vivantes, mais si elles sont
grossières ou polies, si les livres qu’elles ont formés sont d’un bon ou d’un mauvais goût. Supposons que
notre langue pût un jour avoir le sort de la grecque et de la latine, serait-on pédant, quelques siècles après
qu’on ne la parlerait plus, pour lire MOLIÈRE ou LA FONTAINE? »
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Thomas HOBBES / Léviathan (1651) / Dalloz 1999
« Les mots sont les jetons des sages, qui ne s’en servent que pour calculer, mais ils sont la monnaie des
sots, qui les estiment en vertu de l’autorité d’un Aristote, d’un Cicéron, d’un saint Thomas, ou de quelque
autre docteur, qui, en dehors du fait d’être un homme, n’est pas autrement qualifié. »
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Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Comment il se fait que ce n’est qu’en cherchant les mots qu’on trouve les pensées. »
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« Bannissez des mots toute équivoque, toute indétermination ; faites en, comme ils disent, des chiffres
invariables : il n’y a plus de jeu dans la parole et dès lors plus d’éloquence et plus de poésie : tout ce qui
est mobile et variable dans les affections de l’âme demeurera sans expression possible. Mais que disais-je,
bannissez... Je dis plus. Bannissez des mots tout abus, il n’y a plus même d’axiomes. (Vid. d’Alembert,
Discours sur l’Encyclopédie.) C’est l’équivoque, l’incertitude, c’est à dire la souplesse des mots qui est un
de leurs grands avantages pour en faire un usage exact. »
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Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996
« Il savait prononcer le mot "succulent" de telle manière qu’en l’entendant on avait l’impression de mordre
dans une pêche mûre. »
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CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Spéron-Spéroni explique très bien comment un auteur qui s’énonce très clairement pour lui-même est
quelquefois obscur pour son lecteur : "C’est, dit-il, que l’auteur va de la pensée à l’expression et que le
lecteur va de l’expression à la pensée." »
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Alphonse KARR / Les Guêpes (deuxième série) / Calmann Lévy 1898
« On peut en France ne jamais changer les choses, pourvu qu’on change les noms.— L’odieuse conscription
ne fait plus murmurer personne depuis qu’elle s’appelle recrutement. — La gendarmerie, si détestée,
a le plus grand succès sous le nom de garde municipale. — Louis-Philippe, lui-même, n’est qu’un synonyme,—
ou plutôt un changement de nom.— Les forts détachés ont fait pousser à la France entière un cri
d’indignation; l’enceinte continue est fort approuvée. Si ce synonyme-là n’avait pas réussi, le roi en avait
encore vingt en portefeuille, qu’il aurait essayés successivement ;— on peut gouverner la France avec des
synonymes*. »
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* Sur ce point, rien n’a changé en France depuis 1841... sauf les synonymes.
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Didot, insolent comme les sots, nous demande, à propos de ce qu’il appelle nos bravades de style, si
nous avons chez nous un dictionnaire de l’Académie française. Pour un peu, nous lui aurions répondu :
"Lequel ?" Car un dictionnaire est un almanach !... Malheureux, qui ne sait pas que tout homme qui ne
féconde pas la langue n’est pas un homme de lettres ! »
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Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / OEuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Dans le patois des Flandres, assure un explorateur, "épousailles" se dit "trouwplechtighied". Ce n’est pas
un joli dialecte que le flamand. »
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Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Whangdepootenawah n. Dans la langue Ojibwa, désastre. Affliction inattendue qui frappe très très fort. »
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Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« En notre siècle de peu de foi, "sans doute" a le même sens que "peut-être". »
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« Qu’est-ce que cette étoile? Et on lit son nom dans un livre, et on croit la connaître. »
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« Celui qui me fera retenir des noms anglais n’est pas encore naturalisé. »
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Édouard LOCKROY / Au hasard de la vie / Paris Grasset 1913 [BnF]
« Je me promenais un jour avec lui [Victor Hugo] sur la falaise à Guernesey. Il me faisait une leçon
admirable sur l’éloquence de la tribune. Comme je m’étonnais qu’un écrivain pût être en même temps un
orateur, parce qu’en parlant ou en essayant de parler, il est obligé de se contenter du premier mot qui lui
vient à l’esprit et qui n’est pas toujours le mot juste, Victor Hugo me répondit :
— Les mots justes sont des domestiques. On sonne, et ils viennent. »
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Rémy de GOURMONT / Épilogues (3) / Mercure de France 1923
« Le discours explicatif et apologétique est inutile. L’éloquence parlementaire est une survivance ou une
régression, de même que l’éloquence judiciaire, l’éloquence universitaire. Un cours d’université, s’il n’est
pas un service de laboratoire, une démonstration expérimentale, est une niaiserie. Habitude qui date des
temps où les livres étaient rares et chers ! Éloquence parlementaire, système qui remonte au temps où,
faute de moyens pour multiplier les documents, on se réunissait pour en écouter la lecture ! »
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Paul VALÉRY / Tel Quel / OEuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« CONSEIL À L’ÉCRIVAIN
Entre deux mots, il faut choisir le moindre.
(Mais que le philosophe entende aussi ce petit conseil.) »
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Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Ce qui obscurcit presque tout c’est le langage— parce qu’il oblige à fixer et qu’il généralise sans qu’on
le veuille. »
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« Excellent de ne pas trouver le mot juste — cela y peut prouver qu’on envisage bien un fait mental, et
non une ombre du dictionnaire. »
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ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard
1960
« La langue est un instrument à penser. Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont
vraisemblablement surtout incultes, et en se sens qu’ils n’ont qu’un petit nombre de mots et d’expressions ;
et c’est un trait de vulgarité bien frappant que l’emploi d’un mot à tout faire. Cette pauvreté est encore
bien riche, comme les bavardages et les querelles le font voir : toutefois la précipitation du débit et le retour
des mêmes mots montrent bien que le mécanisme n’est nullement dominé. L’expression "ne pas savoir ce
qu’on dit" prend alors tout son sens. On observera ce bavardage dans tous les genres d’ivresse et de délire.
Et je ne crois même point qu’il arrive à un homme de déraisonner par d’autres causes ; l’emportement dans
le discours fait de la folie avec des lieux communs. Aussi est-il vrai que le premier éclair de pensée, en
tout homme et en tout enfant, est de trouver un sens à ce qu’il dit. Si étrange que cela soit, nous sommes
dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire ; et cet état sibyllin est originaire
en chacun ; l’enfant parle naturellement avant de penser, et il est compris des autres bien avant qu’il se
comprenne lui-même. Penser c’est donc parler à soi. »
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Sacha GUITRY / Le petit carnet rouge / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« C’est tout de même curieux de penser que les Marseillais trouvent que nous avons de l’accent ! »
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Georges PERROS / En vue d’un éloge de la paresse - Lettre préface / Le Passeur 1995
« Ce qui m’a le plus frappé, c’est la puissance des "mots". C’est le commerce, l’échange, rendu possible,
grâce à un vocabulaire pour tous, pris au sérieux. Quand je pense qu’on peut séduire une femme, acquérir
une situation, faire du mal, de la peine, du bien, du plaisir, avec des phrases bien assemblées, cela me
confond. »
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François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
« Ce qui donne au langage son caractère unique, c’est moins, semble-t-il, de servir à communiquer des directives
pour l’action que de permettre la symbolisation, l’évocation d’images cognitives. Nous façonnons
notre "réalité" avec nos mots et nos phrases comme nous la façonnons avec notre vue et notre ouïe. Et la
souplesse du langage humain en fait aussi un outil sans égal pour le développement de l’imagination. Il se
prête à la combinatoire sans fin des symboles. Il permet la création mentale de mondes possibles. »
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Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992
« Quand on prononce le mot "concupiscent" on dit aussi un peu caca. »
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« En langue basque, AIZ signifie pierre, AIZKOLAR, hache, AIZKOLARIK, bûcheron. Voilà ce que j’appelle
une langue ancienne. »
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Richard DAWKINS / Le gène égoïste / Editions Odile Jacob (Opus 33) 1996
« Le malheur des humains vient de ce que trop d’entre eux n’ont jamais compris que les mots ne sont que
des outils à leur disposition, et que la seule présence d’un mot dans le dictionnaire (le mot "vivant" par
exemple) ne signifie pas que ce mot se rapporte forcément à quelque chose de défini dans le monde réel. »
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